
The Bloc-ROCK
Blunderbuss - Jack White
Expérience du jour : fini les « space » yaourt, cake, pizza et autres spliffs, pétards et joints en tout genre. Nouvelle drogue aujourd'hui, c'est le son. Et comme la nature fait bien les choses, Blunderbuss est là. Décryptage d'une défonce sonore...
Manteau long, col relevé. Lunettes noires, gants en cuir. Chapeau melon, jean noir et bottes noires. Stressé, tremblant, on se dirige chez notre dealer à nous, le disquaire du coin (oui, on prend pas notre came n'importe où quand même). Un bonjour timide au vendeur, on prend le cd bleu, on lui file les 20 E qu'il faut et on se barre bien vite, fissa, on laisse pas de trace ! Mais aller, on se calme ! On s'allume une Malback – ouais ces tiges à cancer nous tiennent toujours- on met le cd, on se cale bien et là on découvre, on respire, on transpire. On décolle.
« Bonjour mesdames, messieurs. Bienvenue à bord de la compagnie Third Man Records en direction de Nashville. Veuillez attacher votre ceinture, relever votre tablette, un membre du personnel passera dans quelques instants pour évaluer votre confort. En espérant que le voyage, d'une durée de 41'57, soit agréable. Je vous souhaite un bon vol »
C'est le jour faste du 21 avril 2012 que l'on découvre Jack White avec son nouveau défi : l'album solo. « Evil » Jack frappe encore et c'est plus fort que jamais. Ce monstre d'excellence, ancien leader des White Stripes et membre des groupes Dead Weather et The Raconteurs, n'est pas du genre à chômer. Après ses deux séparations, l'une professionnelle avec White Stripes et l'autre personnelle avec son épouse Karen Elson, White étant seul ( ces acolytes n'étant pas libres) il décide, au lieu de se laisser abattre, de créer un projet fou. IL construit son propre studio. IL créé son label. IL invente le Rolling Record Store. IL produit des groupes. IL produit des albums. Il fait des featuring (et là on peut citer Wanda Jackson - « Queen of rock'n'roll » -, Daniel Luppi & Danger Mouse, Black Milk...). IL créé de nouveaux vinyles (phosphorescents, parfumés...). Il créé un nouveau format (vinyle à 3 tours par minute). IL aide de nombreux artistes à revenir ou seulement venir sur le devant de la scène ( et là on peut encore citer Seasick Steve, Conan'o'brien, Jeff the Brotherhood...). IL invente de nouveaux concepts. Mais on y reviendra bien assez tôt.
Fatigué ou fatigant ? Vous m'en direz tant. Le travail chez lui c'est inné. Une affaire de famille. Cadet de ce qu'on peut appeler une colonie ( 8 frères et sœurs), il doit se battre chaque jour que le soleil ose éclairer pour se faire entendre. Très tôt il trouve sa voie. Le rythme, la batterie, véritable cœur de la machine White. Puis la guitare. Il fait des petits boulots à droite et à gauche pour se remplir les poches, se nourrir. Un de ses patrons deviendra son mentor musical, lui faisant découvrir les Cramps notamment. C'est en travaillant qu'il décroche une guitare du temps de Robert Johnson. Une vieille rappe couverte de papiers mâchés, elle est cassée, cabossée. Il l'obtient en échange d'un service rendu à son frère à ce qu'il dit. Une âme bien plus qu'une guitare, qui lui fera découvrir les démons qu'il a en lui. Mr Hyde et Dc Jekyll en quelque sorte. Puis à coups de sueur et de sang il se fera connaître pour être reconnu. 2003, consécration pour lui et Meg avec Elephant, qui explose aux charts. Mais là encore pas question de prendre du repos. C'est pas une raison. Il sait d'où vient tout ce succès. Il a trop morfler pour s'arrêter là. Il apparentera d'ailleurs son futur album de « bébé qui a du mal à sortir », une douleur, une souffrance pour lui. Mais en bon Karamazov il n'abandonne pas. Le combat n'est jamais fini. Jack White ne se la coule pas douce. Comme quoi, même quand on sort du quartier mexicain de Detroit, on peut s'en sortir. Mais faut bosser.
Février 2011. Fin d'un mythe. Désillusion pour tous. Pierre blanche et larmes, pas de crocodile. Culs bénis et rockeurs mal léchés voient la réalité. Les White Stripes c'est fini. Heureusement il nous reste les Dead Weather et les Raconteurs. Les Raconteurs tout d'abord. Premier supergroupe de White. On peut dire qu'il a relancé, avec ses potes, cette mode vieille des 60's. À l'époque il y avait The Yardbirds, Derek and the Dominos ou encore Cream. Maintenant que la mode est relancée on compte dans les rangs des supergroupes Them Crooked Vultures, Monsters of Folk ou encore The Last Shadow Puppets. Donc the Raconteurs c'est qui : Brendan Benson, chant et guitare, Jack Lawrence, lunatique bassiste des Greenhornes, Patrick Keeler, batteur du même groupe et Jack White à la guitare, avec aux claviers sur quelques morceaux, Dean Fertita du QOSTA. Leur style est certes du blues (leitmotiv de White) avec une touche de country. C'est du Allman Brothers Band énervé quoi ! Puis il met ce groupe en parenthèse pour se ressourcer, se donner à fond à sa tache de producteur. Mais « malgré lui » il va former un nouveau groupe. Dead Weather n'est qu'un délire entre lui et ses potes qui s'est extrêmement bien terminé. On y compte : Alisson Mosshart des Kills, Jack Lawrence des Raconteurs et des Greenhornes, Jack White des Raconteurs et des regrettés White Stripes et Dean Fertita des QOSTA. Vous secouez le tout et PAF ! CRACK ! BOUM ! HUE ! Voici Dead Weather un autre supergroupe, avec surprise du chef, mister White derrière la batterie. C'est un nouveau défi car c'est très différent de tout ce qu'il a fait avant. C'est un tout nouveau genre ? Non. Ce groupe est surnommé le « nouveau Led Zeppelin ». Putain de niveau.
Coup de chapeau ! C'est à se demander si White n'est pas schizophrène ! En changeant de groupe il change d'ambiance. Rouge/blanc/noir, de Stijl, Mondrian et compagnie pour les White Stripes ; country-rock pour les Raconteurs ; noir, ténébreux, blues graveleux pour les Dead Weather.
Tel un caméléon il se réinvente chaque fois. Même ! Tel un phénix il renaît de ses cendres pour être le même à chaque fois mais toujours un peu plus. Et ce à chaque fois. Même lors de son featuring avec madame Jackson, il se redécouvre. Adieu le bluesman et bonjour les paillettes, le rose bonbon et le costard taillé sur mesure, pardon ! Et là une fois encore il ne déroge pas à la règle, changement de décor, d'ambiance. Vous me direz « pathétique non ? Il se prend pour l'homme aux mille visages ou bien ? » Peuh. S'il y a bien une seule personne assez crédible pour faire ça c'est bien lui. Donc. Sur son nouvel album c'est le bleu qui est a l'honneur. Tout est dans la sobriété, il a un costume bleu/gris et peu de décor. Il revient dans les années 50 avec tous ses instruments vintages, ses grattes plus vieilles que lui et ses bijoux collectors.
Mais parlons maintenant de cette nouvelle pilule bleue que nous donne Tonton Jack. Pochette sobre, sans nom, avec seulement lui même, affublé d'un vautour sur l'épaule. Un vrai de surcroît. C'est un clin d’œil qu'il adresse à la mort dira t-il, histoire de se moquer d'elle. Et puis quel titre ! « Blunderbuss ». Alors. Vieux tromblon de nos ancêtres conquistadors ou idiot fini ? Torturé à fond le garçon. La mort le guette, c'est une bonne copine. En bon « Evil » Jack il vous torture l'esprit, l'âme et le corps dans ces treize (!) titres qui narrent la solitude d'un homme ( « on and on and on » ou encore « take me with you when you go ») ou encore la folie qu'engendre l'amour (sur « love interruption » on peut effectivement lire « I want love to/ grab my fingers gently/ slam the in a doorway/ and put my face into the ground »). Mais il aborde aussi des thèmes comme la liberté (appel au secours?) dans « Freedom at 21 » ou bien la justice dans « Weep themselves to sleep ».
C'est un album très complet où le blues est à l'honneur. Attention il y a différent type de blues. Voyez le très gras mais néanmoins talentueux groupe Black Keys. Alors ici c'est très différent. C'est du blues complet, fin et méticuleux. Un blues de café plus qu'un blues de bar avec bières et strip-teaseuses alléchées et alléchantes.
On s'éloigne encore un peu plus de tout ce qui a été entendu chez le « guitar hero ». Cependant on retrouve parfois le White d'avant. En mode rockeur déjanté sur « Sixteen Saltines » comme à l'époque de « Fell in Love with a girl » ou encore « Good to me ». En mode bluesman énervé sur « Freedom at 21 » qui n'est pas sans rappeler Dead Weather. Ce nouvel album est donc une nouvelle étape franchie avec succès. Espérons que celui ci soit au rendez vous. Quoi de mieux pour attirer les foules que de mettre un peu de folie dans ce monde ennuyé. Pour que le succès pointe le bout de son nez sur le perron de Mr White, lui même a mis le paquet. Pour la promotion de son 13 coups, il ne lui faut pas moins que deux groupes. Un, essentiellement masculin et particulièrement énervé avec un sens du rythme incroyable et une furie communicatrice, voici Loz Buzzards. L'autre, essentiellement féminin est le groupe parfait pour chacune des ballades de White. Même si lorsqu'il faut jouer gros bras, les Peacocks n'ont pas peur, elles se préfèrent malgré tout à jouer de jolis morceaux romantiques. Un beau bonbon sucré et doux enrobé de bleu dans un monde de brute. Ce n'est pas sans rappeler un certain Bo Diddley lorsqu'il s'est fait accompagné sur scène par Lady Bo & the Duchess. L'autre folie c'est que personne ne sait à l'avance avec qui il va jouer lors des concerts (par ailleurs excellents, que ceux qui n'ont pas la chance de le voir sur scène, sont priés d'aller directement sur son site www.jackwhiteIII.com pour en voir les vidéos) vu qu'il choisit son groupe que le matin même.
Ah tiens, parlons en des folies de Jack White ! Bon après le Rolling Record Store et le vinyle parfumé, il y a encore des choses qui marquent. On pensait que c'en était fini mais non. Son label d'abord, est le seul label qui a son lot d'abonné. Pour 20euros par mois, Jack White vous enverra, en main propre évidemment, tous les trois mois un colis avec des nouveautés, des vinyles. Et ensuite, tel un ticket d'or, vous pourrez porter haut dans le ciel le vinyle reçu et que peu de personnes auront. N'est-ce pas amusant de savoir que l'usine de Jack travaille pour vous confectionner un petit cadeau tous les trois mois ? Ensuite il a inventé, et donné lors d'un concert qu'il effectuait dans son Third Man Records, un vinyle à chaque invité. Mais ce vinyle est différent. Il ne tourne qu'à trois tours par minute. Autant dire qu'il est illisible ! Mais cette idée le fait bien rire ! Autre fait: plusieurs avions sont passés au dessus de Nashville et ont effectué un largage de petits parachutes avec au bout de chacun un vinyle des derniers enregistrements au Third Man. Dernière en date: la bumble buzz pedal. Fou à lier ? Non, artiste ou génie, appelez le comme vous voulez.
Vous aurez sans doute remarqué que le vinyle prend beaucoup de place dans la vie de ce jeune et talentueux guitariste. Si ce bluesman affectionne tout particulièrement l'analogique, il rebute la technologie et fuis presque à chaque fois qu'un ordinateur est devant lui. Lorsqu'il fait un cd, il fait aussi tous les arrangements, il travaille vraiment le disque ( et maintenant le vinyle) et en connaît chaque défauts. Mais pourquoi le vinyle ? Après avoir construit son studio à Nashville il s'est rendu compte qu'il y avait un bâtiment désaffecté juste à côté. Il l'a donc acheté et a donné un coup de neuf à tout ça. Et maintenant à la place de ce vieux bâtiment croulant, on trouve à côté du studio Third Man, une « usine » à vinyles. Astucieux.
Donc pour le moment, c'est un parcours sans faute pour le nouveau « guitar hero ». Espérant qu'il continue ainsi pour qu'il puisse nous sortir d'autres perles comme « Blunderbuss ». Pourtant pendant un moment on a tous eu un peu peur. On craignait de voir Jack dévier vers le métier d'acteur. En effet après l'excellent « Coffee and cigarettes » de Jim Jarmush, on a pu voir Jack dans pas moins de trois films : « Walk Hard », « Retour à cold mountain » et « It might get loud ». Mais sa réponse est claire. Le travail d'acteur ou de réalisateur demande trop de temps et ce temps pour l'instant il préfère le consacrer à la musique. Malgré tout il s'amuse parfois à passer derrière la caméra pour réaliser des clips, notamment celui de la chanson « I cut like a buffalo » des Dead Weather.
Mais non Jack restera dans la chanson. Son truc à lui c'est la musique. Sorte de gardien du temple du blues, gardant vigoureusement les clefs et détenant le secret. Spiritueux ou gourou vintage, c'est chez lui qu'on va pour se prendre une dose de country/rock/blues.
Certains le voient aussi comme le Willy Wonka de la musique. Son monde est magique, ici tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Le chocolat devient vinyle, la chocolaterie devient studio. Mais le personnage est le même, facétieux, l’œil vif et extrêmement charismatique. Diable, mais croyant, il nous fait signer un joli pacte, prônant le renouveau par l'analogique. Suivez la route, Jack la trace pour vous.